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Taxe Caïman 3.0 : Le crocodile aux dents … trop longues ?

Rédigé par Valérie-Anne de Brauwere | 14/10/24 09:49

Pour sa leçon inaugurale, l’Executive Master in Tax Management a proposé une conférence sur la fameuse taxe Caïman et ses élargissements à répétition. Une loi qui a pour but de lutter contre les évasions ou optimisations fiscales… mais qui cause de nombreux dommages collatéraux. 

Le but de la loi

L’objectif de la loi est louable : la Belgique souhaite que son Trésor puisse percevoir des impôts sur les revenus chaque année, et non uniquement à la sortie, au moment de la distribution de dividendes. Pour ce faire, lorsqu’un patrimoine est détenu au travers d’une entité qui ne paie pas ou qui paie peu d’impôt, la loi belge considère l’entité comme transparente fiscalement, et son bénéficiaire doit payer un impôt sur les revenus de l’entité perçus chaque année, sans attendre que ladite entité les lui distribue.

La loi est-elle conforme au droit européen ?

La législation prévoit que constitue une « construction juridique » visée par la loi toute entité établie au sein de l’EEE qui paie moins d’1% de ce qu’elle aurait payé comme impôt si elle était établie en Belgique. Cette règle implique que les entités belges ne sont par hypothèse jamais des constructions juridiques, alors que des entités similaires établies dans un autre pays de l’EEE peuvent être considérées comme des constructions juridiques. Ainsi, une société belge soumise à l’impôt des sociétés ne sera jamais une construction juridique, alors que son homologue luxembourgeoise pourrait en constituer une certaines années (selon un calcul à établir annuellement). Est-ce bien conforme aux principes de libre établissement des sociétés ?

Prenons un autre exemple : la réforme de décembre 2023 prévoit une exit tax pour les Belges qui quittent la Belgique. En vertu de celle-ci, ils doivent payer un impôt en Belgique sur les plus-values latentes de leur construction juridique, même s’ils vont travailler dans un autre pays de l’UE. Or, la Cour de justice avait déjà condamné la France pour une exit tax similaire (arrêt de Lasterye).

La fin justifie-t-elle les moyens ?

La réforme de décembre 2023 a été voulue dans le but de contrer des « failles » de l’actuelle loi. Mais la rédaction a été pensée à sens unique, pour lutter contre les – éventuelles – défaillances de la loi, sans penser aux dommages collatéraux qu’elle causait. Prenons un exemple : la loi prévoit une exit tax à payer par les résidents belges qui quitteraient la Belgique pour éviter la taxe Caïman. Mais cette exit tax est tellement large qu’elle vise également – et surtout – les Belges qui vont s’établir à l’étranger par exemple parce qu’ils y ont trouvé un travail, et qui n’ont éventuellement pas leur mot à dire sur une construction juridique dont ils seraient bénéficiaires minoritaires.

L’exit tax va aussi viser les étrangers qui viennent travailler quelques années en Belgique. Ainsi, un anglais qui est structuré en Trust depuis toujours (ce qui est fréquent dans les pays anglo-saxons) et qui vient travailler quelques années en Belgique devra s’acquitter d’une exit tax lorsqu’il quitte la Belgique, sur la plus-value latente du patrimoine détenu par le Trust, et ce depuis sa constitution (et non uniquement pour la période de résidence belge). La Belgique ferme ainsi la porte, à cause d’une loi mal rédigée, à toute une série de travailleurs qui pourraient être bénéfiques pour l’économie belge.

Et enfin, comment bien réfléchir une loi…

Le législateur a également voulu lutter contre un soi-disant abus qui consisterait à placer au- dessus d’une construction juridique une entité normalement imposée. On voit difficilement quel contribuable aurait cette mauvaise idée sur le plan fiscal... puisque l’entité normalement imposée paie par hypothèse des impôts, et que son actionnaire en paiera également au moment où il en recevra les dividendes…

En revanche, cette modification législative va impliquer des problèmes insolubles en pratique : ainsi, un résident belge qui détient quelques pourcents d’une société française qui possède elle-même des investissements en private equity à travers le monde (qui sont généralement détenus par des entités qualifiées de constructions juridiques) est censé déclarer les revenus de ces structures par transparence. Mais en tant qu’actionnaire minoritaire, il ne pourra pas recevoir les bilans internes et toutes les informations des (sous- sous-)filiales qui lui seraient nécessaires pour sa déclaration. Le législateur a ainsi mis en place une réglementation qui est inapplicable en pratique. 

 

En matière législative, le but ne justifie jamais les moyens. Le premier métier du législateur est d’écrire des lois claires, que les résidents belges peuvent comprendre et appliquer en pratique, et des lois qui sont justes et équitables, sans causer de dommage collatéral. Et la cerise sur le gâteau serait que nos lois ne constituent pas un objet de risée sur le plan international...

 

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