Agrandir les équipes et les structurer autour d’un objectif commun est un des défis majeurs de la croissance d’une PME. Pour le relever avec succès, les leaders doivent avant tout faire preuve de clairvoyance et d’humilité.
Une entreprise en croissance doit la plupart du temps engager de nouveaux talents pour renforcer ses équipes. Mais derrière l’augmentation rapide de l’effectif se profile une difficulté à laquelle la PME n’est pas toujours préparée : sa propre structuration.
Passer d’une petite équipe efficace de quelques collaborateurs à une organisation comptant plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de personnes, est en effet un fameux défi.
“Dans la startup ou la petite PME, la collaboration s’organise souvent de manière informelle”, explique Florence Pourtois, consultante RH et formatrice du programm Dirigeant et Développement de la Solvay Brussels School. “Les interactions quotidiennes ont façonné les attentes de chacune et de chacun, et tout le monde sait comment faire avancer les choses. Comme le contact entre collègues est constant, les occasions d’ajustement sont multiples, et le phénomène passe le plus souvent inaperçu. En clair, l’entreprise “tourne” parce que chacun y met du sien. Mais lorsque le nombre de collaborateurs augmente, cet ajustement permanent n’est plus possible: il doit laisser peu à peu la place à une dynamique plus formelle. En clair, la PME doit se structurer.”
La littérature actuelle abonde sur la manière dont l’entreprise est supposée s’organiser.
Le management à l’ancienne, basé sur une structure hiérarchique pyramidale et un degré plus ou moins important de contrôle laisse peu à peu le pas à des modes d’organisation plus participatifs : méthode Agile, lean management, entreprise “libérée”, holacratie…
“Mais ce serait une erreur de s’interroger d’entrée de jeu sur la méthode”, souligne Florence Pourtois. “L’organisation de l’entreprise est en effet avant tout dépendante de la culture qui y règne. Et cette culture dépend avant tout des personnes qui y travaillent, à commencer par l’équipe dirigeante. Le système d’organisation choisi ne pourra fonctionner que s’il est cohérent avec les valeurs fondamentales du chef d’entreprise, celles qui déterminent son comportement quotidien. Les systèmes sont “incarnés”, et cette incarnation est mise en œuvre par le chef d’entreprise.”
Pour Florence Pourtois, si le terme “incarnation” peut sembler chargé, voire outrancier, il désigne une réalité bien concrète à laquelle les responsables de PME ne peuvent échapper : ce qui compte, ce n’est pas le discours, mais les actes.
“J’ai récemment coaché le comité de direction d’une entreprise qui éprouvait de grosses difficultés à assurer ses prestations dans les délais promis aux clients”, illustre-t-elle. “Le discours managérial insistait pourtant sur la nécessité d’être ponctuel et de tenir ses engagements. Dans la pratique, toutefois, le comité de direction se réunissait systématiquement une demi-heure en retard, et ses membres agissaient de même lors de leurs réunions avec leurs équipes. Les actes des leaders étaient en décalage flagrant avec leur discours, et personne n’en était dupe. Je leur ai suggéré de faire un effort pour se réunir à temps et être ponctuels aux réunions qui les concernaient, sans rien communiquer de cet engagement à leurs collaborateurs. En l’espace de quelques semaines, les retards dans les prestations se sont progressivement résorbés. Les actes posés chaque jour par les leaders ont concrétisé les valeurs qu’ils avaient décidé de porter, et cette cohérence a permis d’aligner naturellement l’entreprise sur ses objectifs.”
Cet exemple est une illustration parfaite du changement profond que vit l’entreprise confrontée à un contexte économique, social et environnemental incertain.
“Face à cette incertitude croissante, le rôle du management est aujourd’hui de créer du sens et de la prévisibilité à l’intérieur de l’entreprise”, insiste Florence Pourtois. “Les collaboratrices et les collaborateurs doivent pouvoir faire confiance à l’entreprise et à l’équipe dirigeante. Cette structuration de la réalité permet d’offrir à chacun, à l’intérieur de l’entreprise, l’espace de certitude qui lui permet de faire face à l’imprévisibilité du marché.”
Avant de réfléchir à leur mode d’organisation, les responsables de PME doivent donc s’interroger : qui suis-je ? Quelles sont les valeurs fondamentales qui sont structurantes pour moi ? Ce questionnement va leur permettre de trouver les vrais invariants, ceux sur lesquels il sera possible d’appuyer à la fois la culture et la structure de l’entreprise.
“C’est une réflexion qui demande à la fois beaucoup de courage et d’humilité”, reconnaît volontiers la consultante. “Par humilité, je veux dire la capacité du dirigeant à accepter qui il est réellement et à ne pas se raconter d’histoires. Se réconcilier avec cette réalité est une première étape.
La deuxième étape est de choisir entre changer ou rester comme on est et accepter que l’entreprise se construise autour de cette réalité. Je me souviens du dirigeant d’une grosse organisation belge. Sa grande force était sa capacité à “sentir” son secteur : il avait le don de comprendre de manière très rapide et très intuitive les besoins et les attentes des stakeholders. Mais il était en même temps très tenté de céder aux sirènes du management participatif, un concept particulièrement prisé dans le milieu associatif. Il a fini par accepter que ce n’était pas possible : l’action de son organisation était efficace justement parce qu’il avait cette force d’intuition. C’est elle qui le rendait pertinent en tant que leader, et il ne pouvait pas y renoncer. Et ce n’est pas un problème en soi : le savoir et agir en cohérence avec cette valeur lui a permis de s’entourer de personnes capables de s’adapter à son style de management directif et à en tirer le meilleur parti pour faire progresser l’organisation.
En quelque sorte, le bon leader n’est ni un dictateur ni un champion de la participation, ou plus exactement, il peut être les deux. Le parfait leader est celui qui assume son style de leadership.”
C’est dans cette philosophie que nous travaillons sur les aspects RH de la croissance avec les participantes et les participants au programme Dirigeant & Développement de Solvay Lifelong Learning. La plupart d’entre eux sont en effet conscients que quelque chose coince au sein de leur entreprise et constitue un obstacle à la croissance.
Le rôle du module “Le dirigeant et les femmes/hommes de son entreprise”, qu’anime Florence Pourtois, est de les amener à prendre conscience de qui ils sont et de leurs valeurs cardinales.
“À partir de là, ils ont deux possibilités”, conclut-elle. “Soit ils acceptent ces valeurs comme les leurs et structurent leur entreprise en fonction, soit ils décident de s’inscrire dans une démarche de changement pour vivre et incarner les valeurs qu’ils veulent inscrire au cœur de l’ADN de leur PME.”